PLF 2023 – Nouveau régime des honoraires

Le projet de loi de finances pour l’exercice budgétaire 2023 propose une série de mesures qui constituent des changements majeurs dans le système fiscal marocain.

En effet, le PLF 2023 propose principalement des mesures concernant :

  • Premièrement, l’impôt sur les sociétés qui voit une revue de la structure des exonérations et des taux (y compris ceux de la cotisation minimale) ;
  • Deuxièmement, l’impôt sur le revenu qui connaît des modifications au niveau :
    • mise en place progressive de l’imposition globale des personnes physiques (notamment par la suppression des taux libératoires) ;
    • revue de la structure des frais professionnels sur revenus salariaux ;
    • modification des taux d’abattement forfaitaires sur les pensions de retraite
  • Troisièmement, la taxe sur la valeur ajoutée qui voit l’application du taux normal aux profession libérales ;
  • Quatrièmement, la reconduction de la contribution de solidarité sociale ;
  • Enfin, les retenues à la source qui connaissent plusieurs modifications notamment pour les professions libérales.

C’est cette dernière mesure que nous analysons dans cet article.

Nouveau régime des honoraires : Qu’est-ce qui change ?

Situation actuelle

Le principe de retenue à la source existe dans le Code général des impôts marocain depuis longtemps. En effet, les contribuables étaient dans l’obligation de procéder à une retenue à la source dans certains cas notamment :

  • Premièrement, les dividendes qu’il paye à ses actionnaires ;
  • Deuxièmement, les intérêts qu’il verse à son prêteur ;
  • Troisièmement, les produits bruts qu’il verse à des sociétés étrangères ;

En effet, l’article 4 du Code général des impôts (dans sa version avant modification) stipule ce qui suit :

Sont soumis à la retenue à la source au titre de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu, telle que prévue aux articles 158159 et 160 ci-dessous :

I.- les produits des actions, parts sociales et revenus assimilés visés à l’article 13 (….) ;

II.- les produits de placements à revenu fixe et les revenus des certificats de Sukuk visés respectivement aux articles 14 et 14-bis (…) ;

III.- les produits bruts visés à l’article 15 (…)

L’article 4 impose que la personne versante procède à la retenue à la source au moment du paiement de ces produits (ou de son inscription dans un compte courant).

Ainsi, par exemple, une société qui verse des dividendes à ses actionnaires effectue une retenue à la source de 15% sur ces derniers. Ensuite, elle doit procéder à son versement au trésor avant l’expiration du mois suivant la date de paiement (ou d’inscription en compte).

En outre, une société qui achète des prestations de service à un prestataire étranger effectue une retenue à la source de 10% dans les mêmes conditions.

Les prestations de service fournies par des prestataires locaux ne faisant pas partie du champ d’application de la retenue à la source.

Nouveau régime des honoraires

Le projet de loi de finance 2023 introduit un nouvel alinéa à l’article 4 qui va se lire dorénavant :

Sont soumis à la retenue à la source au titre de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu, telle que prévue aux articles 158159 et 160 ci-dessous :

I. …

II…

III. …

(voir ci-dessus, les trois premiers alinéas restant inchangés).

IV. – Les rémunérations allouées à des tiers visées à l’article 15 bis ci-dessous(…).

Le projet de loi de finance introduit, de ce fait, une obligation de retenue à la source aux entreprises qui allouent à des tiers des rémunérations.

Le projet de loi de finance 2023, détaille ces rémunérations comme suit :

« Article 15 bis. – Rémunérations allouées à des tiers

Les rémunérations allouées à des tiers soumises à la retenue à la source prévue à l’article 4-IV ci-dessus sont :

  • les honoraires,
  • commissions,
  • courtages
  • et autres rémunérations de même nature

Ce même article précise qu’il s’agit des rémunération qu’une personne morale alloue à des :

  • personnes morales
  • ou des personnes physiques dont les revenus sont déterminés selon :
    • le régime du résultat net réel (RNR)
    • ou celui du résultat net simplifié (RNS) ».

Ainsi, en vertu de ces article, les honoraires qu’une personne morale verse à un professionnel libéral doivent faire l’objet d’une retenue à la source au taux de 20%. C’est la première fois, qu’une telle retenue à la source doit s’appliquer même sur les produits versés à une personne morale soumise à l’I.S.

Impact du nouveau régime des honoraires

Si le parlement vote la mouture actuelle du projet de loi de finance, chaque personne morale (publique ou privée) qui :

  • Paye des honoraires, commissions, courtages et autres rémunérations de même nature ;
  • A une personne morale (qu’elle soit soumise à l’I.S ou à l’I.R) ;
  • Ou à une personne physique soumises à l’I.R selon le régime du RNR ou RNS

Devra opérer une retenue à la source qui s’élève selon l’article 19 du CGI à 20% du montant hors taxe des honoraires.

Cette retenue constituera, un crédit sur l’I.S ou l’I.R restituable si le montant de l’impôt dû est inférieur au montant des retenues.

Ainsi, par exemple, une société professionnelle qui réalise un chiffre d’affaires de 1.000.000 dirhams se verra prélever à la source 200.000 dirhams de retenue à la source. Elle devra, en fin d’année, demander la restitution.

Cette demande de restitution sera, à notre sens, systématique puisque la convergence du taux d’I.S. vers 20% fera que le résultat net sera toujours inférieur à 1.000.000 dirhams.

Comment se faire la restitution selon le nouveau régime des honoraires ?

La réponse à cette question n’est pas prévue dans la nouvelle mouture du CGI. En effet, l’article 157 (nouveau) stipule uniquement que :

« La retenue à la source précitée est imputable sur le montant de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu, avec droit à restitution.« 

Le code précise que la restitution devra se faire d’office. Cependant, l’expérience démontre que la restitution n’est pas automatique. Ainsi, par exemple, le CGI prévoyait une restitution d’office des excédent d’acomptes. En pratique, il fallait formuler une demande de restitution. La restitution traînait des années. En définitive, la loi a décidé d’abandonner le principe de restitution et d’instaurer une imputation à l’infini.

Une mesure incohérente avec la convergence du taux d’I.S vers 20%

De plus, cette mesure semble incohérente avec la volonté du législateur de faire converger le taux d’I.S. vers 20% du résultat. En effet, ponctionner les honoraires des sociétés soumises à l’I.S. de 20% en amont suppose que ces derniers ont un résultat qui converge vers leur chiffre d’affaires. Ce qui n’est pas le cas.

Dans le cas, d’un professionnel libéral disposant d’une petite structure, il est compréhensible que les charges ne soient pas significatives en pourcentage du chiffre d’affaires. Et encore, elles ne sont pas nulle.

Par contre, dans les sociétés de professionnels qui emploient des salariés (grands cabinets d’architectes, sociétés d’expertise dans tous domaines, grands cabinets d’ingénieurs …) les charges de personnel représentent une part significative du chiffre d’affaires. Elles seront, de ce fait, dans une situation de crédit d’I.S. structurel. Il existe, même, un risque sérieux de remise en cause de leur équilibre financier.

Au-delà de l’impact sur la trésorerie clair, les questions suivantes se posent :

  • Dans quelle mesure et dans quel délai la restitution ?
  • L’Administration a-t-elle mis en place les ressources nécessaires pour traiter les demandes de restitution ?
  • Ces professionnels devront-ils débourser des acomptes d’I.S. en plus de cette retenue à la source ?
  • Comment justifier un taux de retenue aussi élevé qui concorde avec le taux applicable au résultat net pour déterminer l’I.S. ?
  • Cette mesure aura-t-elle un impact sur les prix des prestations ?

Régime spécial des avocats

Il est proposé d’instituer un régime fiscal en matière de l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, applicable aux avocats et aux sociétés civiles professionnelles d’avocat.

En effet, ils devront à compter du 1er janvier 2023 verser au cours de l’année d’un montant forfaitaire sous forme d’avance sur l’impôt sur les sociétés (IS) ou l’impôt sur le revenu (IR) une seule fois pour chaque dossier dans chaque niveau de juridiction, lors du dépôt ou de l’enregistrement d’une requête, d’une demande ou d’un recours ou lors de l’enregistrement d’un mandatement ou d’une assistance dans une affaire devant les tribunaux du royaume.
Le montant forfaitaire est fixé comme suit :

  • Tribunaux de premier degré : 300 dirhams ;
  • Tribunaux du deuxième degré : 400 dirhams ;
  • Cour de cassation : 500 dirhams

L’impôt précompté est imputé sur l’IS ou l’IR dû en fin d’exercice. Le reliquat éventuel est restitué d’office.

Dans l’état actuel du projet, cette retenue est cumulative avec la retenue de 20% citée ci-dessus.

Affaire à suivre.